Vivre avec une charge mentale et émotionnelle forte pour un manager : est-ce une fatalité ?
« Faire face à la pression », « gérer mon stress », « prendre du recul », « lâcher prise »… Les demandes qui me sont formulées par les managers que j’accompagne prennent différentes formes mais expriment souvent le même et unique besoin : diminuer leur charge mentale et émotionnelle.
Charge de travail, pression sur les délais, relations conflictuelles, contexte de transformation… les causes sont nombreuses.
Selon le « baromètre de la santé psychologique des salariés français en période de crise », réalisé par OpinionWay pour le cabinet Empreinte Humaine juste avant le second confinement, 58% des managers disent souffrir de détresse psychologique. Parmi eux, 25% déclarent être en détresse élevée, chiffre qui monte à 72% chez les managers de managers.
Alors, est-ce une fatalité ? Au-delà de la responsabilité des entreprises en matière de prévention des risques psychosociaux, de l’attention qu’elles doivent porter aux conditions de travail des collaborateurs, pouvons-nous individuellement agir sur notre charge mentale et émotionnelle ? De quelles ressources personnelles disposons nous pour y faire face ?
Qu’est ce que la charge mentale et émotionnelle ?
La charge émotionnelle est l’ensemble des réactions émotionnelles (inquiétude, angoisse, agacement, abattement…) qui se déclenchent lorsque nous devons faire face à une situation.
La charge mentale est l’ensemble des choses auxquelles nous devons penser. Elle est liée à la pression que nous nous mettons pour être sûr de ne rien oublier. Charges émotionnelles et mentales sont intimement liées.
Une même situation peut générer une charge forte pour un manager alors qu’elle aura un impact mineur pour un autre.
Le regard que nous portons sur la situation et le niveau d’exigence personnel que nous mettons pour y faire face jouent significativement sur le niveau de charge émotionnelle et mentale ressentie.
Cette façon personnelle de vivre et de traiter chacune des situations auxquelles nous sommes confrontés dépend de notre histoire, de nos expériences, de la façon dont nous nous sommes construits. C’est un peu comme si nous disposions d’une boîte noire qui influence inconsciemment nos actes, nos décisions et comportements.
Apprivoiser le contenu de notre boîte noire nous permet de reprendre le pouvoir sur nos réactions, nos actes, nos pensées et ainsi, de mieux réguler notre charge mentale et émotionnelle.
Explorer notre « boîte noire » avec les Drivers
Le concept des Drivers a été développé par Taïbi Kahler (Psychologue Américain et Analyste Transactionnel) qui cherchait à répertorier et à classer les signes extérieurs émis par la personne en situation de stress.
Les drivers sont des conditionnements que nous avons intégrés à notre insu au contact d’adultes référents. Ils provoquent des réactions automatiques et limitent ainsi notre capacité à utiliser d’autres options comportementales.
Ils sont au nombre de 5 :
« Sois fort »
Croyance : « je n’ai pas besoin des autres ».
Comportements : Un manager qui a le driver « Sois fort » en dominant fait face à l’adversité avec une apparente sérénité. Il a le sens du devoir. Il a néanmoins beaucoup de difficultés à demander de l’aide, parler de ses difficultés et exprimer ses émotions. Pour lui, aucun signe de faiblesse n’est tolérable. Il a l’angoisse de craquer sous la pression.
Autorisation à se donner : ressentir et exprimer ses émotions, demander de l’aide, déléguer, ne pas toujours être infaillible.
« Fais des efforts »
Croyance : « je dois montrer que je fais de mon mieux »
Comportements : Un manager qui a le driver « Fais des efforts » en dominant s’implique énormément et marque son enthousiasme pour tout nouveau projet. Il a néanmoins tendance à complexifier les choses, il s’épuise vite et à ne parviens pas à finaliser. Pour lui, finalement, tout devient vite difficile et lourd.
Autorisation à se donner : faire simple et finaliser avant de commencer autre chose.
« Dépêche-toi »
Croyance : « J’ai peu de temps pour faire ce que j’ai à faire »
Comportements : Un manager qui a le driver « Dépêche-toi » » en dominant se met vite en action, pense et travaille vite. Il a néanmoins tendance à faire preuve d’impatience et à stresser son entourage. Il ne se donne pas de temps pour faire les choses et angoisse à l’idée de ne rien faire.
Autorisations à se donner : se reposer parfois, prendre son temps et se focaliser sur une chose à la fois.
« Fais plaisir »
Croyance : « Je dois tout faire pour satisfaire les autres »
Comportements : Un manager qui a le driver « Fais plaisir » » en dominant est attentif aux autres et veille à l’ambiance de l’équipe. Il a néanmoins des difficultés à s’affirmer et à dire non. Il est anxieux à l’idée de ne pas être approuvé par les autres.
Autorisations à se donner : poser ses limites et dire non, prendre soin de soi.
« Sois parfait »
Croyance : « Je dois faire les choses parfaitement »
Comportements : Un manager qui a le driver « Sois parfait » » en dominant a à cœur de bien faire les choses et de les aborder de manière précise et rigoureuse. Il a néanmoins des difficultés à diminuer son niveau d’exigence, à respecter les délais, à déléguer. Il focalise sur ce qui est à améliorer et ne s’arrête pas sur les éléments satisfaisants. Il angoisse à l’idée de mal faire les choses ce qui l’incite à imposer ses propres règles ou à faire lui-même.
Autorisation à se donner : accepter de se tromper, aller à l’essentiel, déléguer et faire confiance.
Un driver très présent génère, selon les situations, des réactions émotionnelles fortes et induisent des comportements inadaptés…
Quelques exemples de comportements que les managers adoptent lorsqu’ils doivent faire face à un contexte de forte charge de travail :
- Un manager qui a le driver « Sois fort » en dominant, par peur de montrer ses difficultés, va faire seul, va assumer sans demander de l’aide. Il finira par ruminer : « Je dois toujours me débrouiller tout seul ».
- Un manager qui a le driver « Fais des efforts » en dominant, par peur qu’on lui reproche de ne pas assez s’investir, va redoubler d’effort devant la difficulté. Il finira par ruminer : « C’est vraiment trop dur ».
- Un manager qui a le driver « Dépêche toi » en dominant, agacé par la lenteur des autres, va faire à leur place en se démultipliant sur tous les fronts. Il finira par ruminer : « Je dois tout faire ».
- Un manager qui a le driver « Fais plaisir » en dominant, par peur de mécontenter les autres, ne va pas dire non et accepter toute nouvelle demande. Il finira par ruminer : « J’aurai dû refuser ou négocier un délai ».
- Un manager qui a le driver « Sois parfait » en dominant, par peur que le travail soit mal fait, ne va pas déléguer ou va surcontrôler. Il finira par ruminer : « Il faut tout faire tout seul ».
Que faire pour diminuer notre charge mentale et émotionnelle ?
Parvenir à réguler notre charge mentale et émotionnelle nécessite de prendre un moment de recul sur notre activité, nos réactions émotionnelles et nos comportements.
1
Prendre conscience de notre niveau de charge mentale et émotionnelle
- Lister les situations, activités, projets qui génèrent une charge mentale et émotionnelle forte
- Pour chacune d’elle :
- Estimer le temps de travail que cela représente,
- Estimer le temps de préoccupation professionnelle que cela représente (le temps que cela occupe notre esprit, y compris en dehors du temps de travail),
- Estimer le niveau d’intensité émotionnel que cela représente (échelle de 1 à 10).
2
En évaluer les impacts
- Quelles sont les conséquences sur notre vie professionnelle ?
- Quelles sont les conséquences sur notre vie privée ?
3
Prendre conscience de l’influence de nos drivers sur nos décisions et comportements
- Classer les drivers selon l’importance et l’influence qu’ils ont pour nous,
- Quelle influence ont les drivers dominant sur notre façon de traiter et vivre les situations listées au point 1 ?
- Que pourrions-nous nous autoriser à faire si notre driver était moins présent ?
- Sur la base de ces autorisations, qu’allons-nous mettre en œuvre (faire différemment, ne plus faire…) ?
4
Mettre en œuvre, expérimenter, ressentir, ajuster, recommencer…
Et vous, comment régulez vous votre charge émotionnelle et mentale ?